Les limites de la déglobalisation
Mes propos tiendront compte des trois exposés précédents, passionnants et extrêmement riches. Je partage d’ailleurs beaucoup de constats et analyses avec les trois orateurs qui m’ont précédé.
Permettez-moi d’abord de citer Pascal (quand je dis Pascal, il s’agit de Blaise et non pas de Lamy…) qui, dans la première Lettre aux Provinciales , écrit : « …je ne dispute jamais du nom, pourvu qu'on m'avertisse du sens qu'on lui donne. ».
Je constate que personne jusqu’ici n’a défini la mondialisation ni la globalisation, sauf peut-être le professeur au Collège de France auquel Jean-Pierre Chevènement a fait allusion (Alain Supiot). Je vous livre ma définition, extrêmement simple : « La tendance pour toutes les unités actives de la planète à raisonner stratégiquement à l’échelle planétaire ». Quand je parle d’unité active, je désigne aussi bien une entreprise qu’un groupe terroriste, une église, une association… Je crois que cette tendance est fondamentalement marquée par les évolutions technologiques.
Là-dessus, j’ai un petit désaccord avec Jean-Michel Quatrepoint : Selon moi, la révolution technologique actuelle est d’une ampleur incomparable avec toutes celles qui l’ont précédée. Par conséquent je crois que cette tendance à raisonner stratégiquement à l’échelle planétaire va persister, en dépit des mouvements de balancier prévisibles.
Aucun des orateurs n’a cité la théorie des cycles longs (Kondratieff, Braudel), courts etc. qui est un grand étage de la pensée économique théorique. Or ce qui a été décrit s’inscrit assez bien dans ces conceptions-là. Cependant, ce qu’on ne peut pas changer, ce sont les mutations technologiques.
Je voudrais faire une autre remarque sémantique à propos de la géopolitique et de ce qu’on appelle de plus en plus souvent la géoéconomie. J’observe qu’aujourd’hui la géopolitique, dans la langue courante, est confondue avec les relations internationales, la diplomatie. Ce glissement de pensée me semble extrêmement dangereux.
En réalité, le mot ‘géopolitique’ a refait son entrée dans les années 80. Au Centre d’analyse et de prévision (CAP) du Ministère des Affaires étrangères, dont j’étais le premier directeur dans les années 70, on ne parlait jamais de géopolitique. Le mot était prohibé à cause des connotations de la géopolitique allemande, du nazisme etc.
Le mot ‘géopolitique’, revenu dans les années 80, désigne pour moi l’idéologie relative aux territoires, qui commande énormément de choses. Par exemple, on ne peut pas comprendre l’échec du retour de la Russie dans la « communauté internationale» (la société internationale, mieux vaudrait dire, car il n’existe pas de « communauté » internationale) si on ne considère pas la grande querelle idéologique : le modèle à la Brzeziński (américain, polonais, lituanien etc.) développant la thèse de l’Ukraine comme la grande région au cœur du continent eurasiatique où allait se jouer le destin de l’humanité, d’où la volonté d’expansion de l’OTAN, des institutions euroatlantiques vers l’Ukraine, ce qui était évidemment inacceptable par les Russes. Ça c’est de la ‘géopolitique’ ! La diplomatie au jour le jour, c’est autre chose.
La ‘géoéconomie’ est l’instrumentalisation de l’économie à des fins politiques, typiquement l’utilisation des sanctions ou des moyens que la technologie apporte pour l’espionnage etc.
À propos du protectionnisme, j’aurai peut-être aussi un petit désaccord, sans doute marginal, aussi bien avec Jean-Michel Quatrepoint qu’avec François Lenglet. Je ne crois pas que la réalité économique ait jamais été le tout libéralisme, ou le tout libre-échangisme, versus le tout protectionnisme. D’ailleurs l’Organisation mondiale du commerce (OMC) développe généralement les conditions de la libéralisation sur le principe de la réciprocité. Aussi il faut attirer l’attention sur le fait qu’il n’y a jamais eu aucun accord multilatéral sur les questions d’investissement. Par exemple, chose assez étonnante, s’il y a eu un laisser-aller de fait, il n’y a jamais eu de cadrage multilatéral sur ces questions d’investissement. C'est-à-dire que si les pays retrouvent leur indépendance en matière d’investissement ils ne contreviendront à aucune loi, ne rompront aucun traité international puisqu’il n’y en a jamais eu ! Il est important de le remarquer.
Une remarque concernant la France : Il est plus facile de recommander la vertu quand on est soi-même vertueux. C’est pourquoi il est extrêmement dangereux de vouloir donner des leçons à autrui parce qu’on ne sait jamais ce qui peut vous arriver en retour. S’agissant du protectionnisme, je crois que la France est très mal placée pour donner des leçons aux autres.
Il faut distinguer le protectionnisme du fort (pratiqué par l’Allemagne, le Japon, la Chine…) et le protectionnisme du faible...
Permettez-moi d’abord de citer Pascal (quand je dis Pascal, il s’agit de Blaise et non pas de Lamy…) qui, dans la première Lettre aux Provinciales , écrit : « …je ne dispute jamais du nom, pourvu qu'on m'avertisse du sens qu'on lui donne. ».
Je constate que personne jusqu’ici n’a défini la mondialisation ni la globalisation, sauf peut-être le professeur au Collège de France auquel Jean-Pierre Chevènement a fait allusion (Alain Supiot). Je vous livre ma définition, extrêmement simple : « La tendance pour toutes les unités actives de la planète à raisonner stratégiquement à l’échelle planétaire ». Quand je parle d’unité active, je désigne aussi bien une entreprise qu’un groupe terroriste, une église, une association… Je crois que cette tendance est fondamentalement marquée par les évolutions technologiques.
Là-dessus, j’ai un petit désaccord avec Jean-Michel Quatrepoint : Selon moi, la révolution technologique actuelle est d’une ampleur incomparable avec toutes celles qui l’ont précédée. Par conséquent je crois que cette tendance à raisonner stratégiquement à l’échelle planétaire va persister, en dépit des mouvements de balancier prévisibles.
Aucun des orateurs n’a cité la théorie des cycles longs (Kondratieff, Braudel), courts etc. qui est un grand étage de la pensée économique théorique. Or ce qui a été décrit s’inscrit assez bien dans ces conceptions-là. Cependant, ce qu’on ne peut pas changer, ce sont les mutations technologiques.
Je voudrais faire une autre remarque sémantique à propos de la géopolitique et de ce qu’on appelle de plus en plus souvent la géoéconomie. J’observe qu’aujourd’hui la géopolitique, dans la langue courante, est confondue avec les relations internationales, la diplomatie. Ce glissement de pensée me semble extrêmement dangereux.
En réalité, le mot ‘géopolitique’ a refait son entrée dans les années 80. Au Centre d’analyse et de prévision (CAP) du Ministère des Affaires étrangères, dont j’étais le premier directeur dans les années 70, on ne parlait jamais de géopolitique. Le mot était prohibé à cause des connotations de la géopolitique allemande, du nazisme etc.
Le mot ‘géopolitique’, revenu dans les années 80, désigne pour moi l’idéologie relative aux territoires, qui commande énormément de choses. Par exemple, on ne peut pas comprendre l’échec du retour de la Russie dans la « communauté internationale» (la société internationale, mieux vaudrait dire, car il n’existe pas de « communauté » internationale) si on ne considère pas la grande querelle idéologique : le modèle à la Brzeziński (américain, polonais, lituanien etc.) développant la thèse de l’Ukraine comme la grande région au cœur du continent eurasiatique où allait se jouer le destin de l’humanité, d’où la volonté d’expansion de l’OTAN, des institutions euroatlantiques vers l’Ukraine, ce qui était évidemment inacceptable par les Russes. Ça c’est de la ‘géopolitique’ ! La diplomatie au jour le jour, c’est autre chose.
La ‘géoéconomie’ est l’instrumentalisation de l’économie à des fins politiques, typiquement l’utilisation des sanctions ou des moyens que la technologie apporte pour l’espionnage etc.
À propos du protectionnisme, j’aurai peut-être aussi un petit désaccord, sans doute marginal, aussi bien avec Jean-Michel Quatrepoint qu’avec François Lenglet. Je ne crois pas que la réalité économique ait jamais été le tout libéralisme, ou le tout libre-échangisme, versus le tout protectionnisme. D’ailleurs l’Organisation mondiale du commerce (OMC) développe généralement les conditions de la libéralisation sur le principe de la réciprocité. Aussi il faut attirer l’attention sur le fait qu’il n’y a jamais eu aucun accord multilatéral sur les questions d’investissement. Par exemple, chose assez étonnante, s’il y a eu un laisser-aller de fait, il n’y a jamais eu de cadrage multilatéral sur ces questions d’investissement. C'est-à-dire que si les pays retrouvent leur indépendance en matière d’investissement ils ne contreviendront à aucune loi, ne rompront aucun traité international puisqu’il n’y en a jamais eu ! Il est important de le remarquer.
Une remarque concernant la France : Il est plus facile de recommander la vertu quand on est soi-même vertueux. C’est pourquoi il est extrêmement dangereux de vouloir donner des leçons à autrui parce qu’on ne sait jamais ce qui peut vous arriver en retour. S’agissant du protectionnisme, je crois que la France est très mal placée pour donner des leçons aux autres.
Il faut distinguer le protectionnisme du fort (pratiqué par l’Allemagne, le Japon, la Chine…) et le protectionnisme du faible...