Google, Meta, X... Pourquoi les géants de la tech licencient à tour de bras
Dans les six mois après sa prise de contrôle de Twitter, devenu X, Elon Musk a licencié 80 % des collaborateurs de l’entreprise, passant de 8 000 à 1 500 personnes. Se sont alors multipliées les prédictions sur les affres à venir du réseau social, incapable d’assurer le bon fonctionnement de choses aussi basiques que la publication des messages. Un peu plus d’un an après, il n’en est rien. Le pari de la rentabilité est encore à confirmer, car les revenus publicitaires ont chuté, mais le site fonctionne avec des équipes sévèrement amoindries. Si cet exemple est sans doute le plus excessif – sans compter que certaines fonctions autrefois assumées, comme la régulation des contenus, ont été abandonnées –, il illustre bien l’idée que les entreprises de la tech, petites comme grandes, vivent bien au-dessus de leurs moyens.
Selon le site Layoffs.fyi, qui suit méticuleusement les communiqués de presse, 1 064 entreprises ont annoncé se séparer de 165 269 collaborateurs en 2022. C’étaient 1 191 pour 263 180 suppressions de poste l’année dernière. Et le mouvement ne semble pas s’arrêter : sur les cinq premiers mois de l’année, 289 entreprises ont prévu 83 749 licenciements. Le mouvement est particulièrement palpable chez les géants de la tech, jugés par certains comme les royaumes des bullshit jobs. David Ulevitch, associé de la société de capital-risque Andreessen Horowitz, a carrément ciblé Google, où "la moitié des cols blancs ne font probablement pas de vrai travail". Dans ces grands groupes, habitués à embaucher des milliers d’ingénieurs, de développeurs et designers, qui n’hésitaient pas à mettre en scène sur TikTok leurs journées relativement tranquilles et leurs avantages - nourriture gratuite, salle de gym, baby-foot -, le tour de vis a été sévère.
Fini le télétravail à 100 %, le retour au bureau a été exigé avec force. Les fonctions support, qui avaient explosé, ont été mises à la diète. Des équipes redondantes ont été fusionnées, comme celles supervisant Android d’un côté et Pixel, le smartphone de Google, de l’autre. Et la division internationale du travail a retrouvé du sens. Pas plus tard que la semaine dernière, Google a brutalement licencié son équipe de développeurs Python en Californie pour les remplacer par des développeurs meilleur marché à Munich.
Restructuration agressive chez Meta
Le marché a salué ce nouveau contrôle des coûts. Le cours d’Alphabet, la maison mère de Google, s’est apprécié de 57 % sur un an. Meta, qui a mené une restructuration agressive au cours des deux dernières années avec 20 000 licenciements, a vu son cours multiplié par quatre. Il faut dire que les résultats se sont largement appréciés. Les revenus ont continué de progresser malgré les départs. C’est l’une des leçons de cet épisode.
Ces entreprises sont en situation de profits extraordinaires par rapport à la moyenne du reste de l’économie. Maintenant que leur contribution à l’emploi est en baisse, cela va être encore plus visible. De quoi relancer le débat sur le monopole que les Gafam représentent. L’autre leçon est la défaillance de la gouvernance d’entreprise. Ces milliards dépensés dans les salaires et les avantages de jeunes diplômés américains sont autant d’argent qui n’a pas été rendu aux actionnaires.
Il faut dire qu’à travers des structures capitalistiques complexes et des droits de vote multiples attachés à leurs actions, les fondateurs de Google ou de Meta peuvent décider seuls. Amazon et Apple, qui sont, elles, sous la pression de leurs actionnaires, se sont beaucoup moins laissées aller à ces dérives.
La question qui taraude désormais toute l’industrie est l’impact de l’intelligence artificielle. Selon l’analyse de CompTIA, l’association à but non lucratif qui étudie les ressources humaines dans les technologies de l’information, le nombre d’emplois dans le secteur aux Etats-Unis a progressé de 33 % de 2014 à 2024, passant de 4,5 à 6 millions. Dans la prochaine décennie, la progression devrait ralentir fortement, à 18 %. Et cela ne tient pas compte des nouvelles IA qui aident les codeurs à travailler plus efficacement. L’outil Copilot de GitHub aurait déjà attiré 1,3 million d’utilisateurs. Tabnine, CodeWhisperer d’Amazon, Replit Ghostwriter et bientôt Gemini Code Assist de Google sont également sur ce créneau. Tout un monde d’assistants de programmation informatique qui progresse de manière fulgurante.
Robin Rivaton est directeur général de Stonal et membre du conseil scientifique de la Fondation pour l’innovation politique (Fondapol)