À trois mois, jour pour jour, du coup d’envoi des Jeux olympiques de Paris, les préparatifs battent leur plein. Le 26 juillet, le monde entier aura les yeux rivés sur la Seine, où devrait se dérouler la cérémonie d’ouverture. Pour les autorités, les enjeux sont immenses : ces deux semaines doivent être une vitrine pour la France. Emmanuel Macron, en particulier, souhaite que cette fête "populaire" serve à promouvoir "l’universalisme des valeurs françaises". Plus encore, le président de la République nourrit l’ambition de faire de ces Jeux "un moment unificateur, un antidote contre l’archipélisation", confiait récemment un conseiller de l’Élysée à L’Express. Les JO pour réconcilier les Français. Rien que ça.

Au-delà des enjeux économiques et politiques, une question se pose : les Jeux pourraient-ils améliorer le moral des Français ? C’est ce que semblent suggérer un certain nombre d’études, selon lesquelles l’impact des grands événements sportifs sur la psychologie des populations hôtes est souvent positif. Seulement voilà, à quatre-vingt-dix jours de la cérémonie d’ouverture, cette perspective optimiste contraste vivement avec l’ambiance actuelle en France.

En 2012, la France regardait, avec un brin de jalousie, les festivités des JO de Londres. Douze ans plus tard, les Français en sont presque à regretter d’être le pays hôte. L’excitation a cédé sa place à l’inquiétude et à la morosité. En témoigne l’enquête menée par l’Ipsos, ce 13 avril. Selon l’institut de sondage, 47 % des Français se montrent désintéressés par l’événement, 53 % se déclarent inquiets quant à la capacité d’organisation de la France, et seulement 38 % s’estiment "fiers" ou "satisfaits". Loin de la liesse populaire espérée par Emmanuel Macron, l’heure est à la défiance.

Chronique d’un échec annoncé, ou simple expression d’un tempérament national ? Le président doit certainement opter pour la seconde option. Les Français, doit-il penser, ces "Gaulois réfractaires", sont fidèles à leur réputation : râleurs, contestataires et jamais contents. Mais comment pourrait-il en être autrement, tant, depuis des mois, ils assistent à une litanie de prévisions pessimistes annonçant des JO chaotiques ?

Paris, invivable cet été ?

Quel Parisien n’a pas entendu, au détour d’une conversation, que la capitale allait être invivable cet été ? Le gouvernement se veut rassurant, à l’image de la ministre Amélie Oudéa-Castéra, qui a affirmé que "la France sera au rendez-vous". Cependant, la succession de couacs, des retards de travaux en passant par les doutes sur la salubrité de la Seine, laisse à voir un pays mal préparé, alimentant le cliché d’une France bureaucratisée aux services publics inefficaces. Que peut-on attendre de l’organisation des JO, quand on ne sait même pas gérer nos hôpitaux, ironisent certains ?

Pourtant, si les Jeux olympiques "ne peuvent pas réparer un pays", comme nous l’écrivions récemment, il se pourrait qu’ils égayent l’été des Français. Cette hypothèse, en apparence aussi saugrenue que présomptueuse, semble confirmée par certaines études. Si des travaux ont démontré que les bénéfices économiques pour les pays hôtes des grands événements sportifs sont nuls, de nombreuses études soulignent en revanche leurs effets positifs sur le bonheur déclaré des habitants de ces villes et pays.

Georgios Kavetsos et Stefan Szymanski, dans un article publié par le Journal of Economic Psychology, ont par exemple évalué l’impact de l’accueil d’événements sportifs internationaux sur le bonheur, en s’appuyant sur les données des enquêtes de satisfaction Eurobarometer, concernant des citoyens de douze pays européens entre 1980 et 2010. Pour isoler l’effet des événements sur le bonheur, les deux chercheurs ont comparé la satisfaction entre les pays hôtes et non hôtes, ainsi que l’évolution de cette satisfaction entre les années avec ou sans événements. De plus, des contrôles pour des variables démographiques et économiques ont été inclus. Ils en concluent que l’organisation d’événements majeurs est associée à une augmentation du niveau de satisfaction déclarée, avec un effet encore plus significatif pour les compétitions de football comme la Coupe du monde ou le championnat d’Europe. Une nouvelle qui devrait réjouir nos voisins d’outre-Rhin, qui accueillent à partir de juin l’Euro 2024.

Vers une fièvre olympique ?

D’autres travaux de recherches se sont concentrés uniquement sur les effets des Jeux olympiques sur le bonheur. Une étude de 2016 a analysé l’impact des JO de 2012 sur les habitants de Londres, comparant leur bien-être à celui des Parisiens et des Berlinois durant la même période. Les données ont été recueillies auprès de 26 000 résidents de Londres, Paris et Berlin, pendant l’été 2011, 2012 et 2013.

Les chercheurs ont utilisé l’outil de mesure du bien-être subjectif (Subjective wellbeing, SWB), qui évalue la perception individuelle du bien-être à travers des questionnaires détaillant différents aspects de la vie quotidienne. Ils ont constaté une hausse significative du SWB à Londres pendant les Jeux, par rapport aux autres villes, indiquant un effet des JO. Cette hausse du bien-être était également accompagnée d’une réduction notable de l’anxiété chez les Londoniens.

Après l’événement, ils ont observé une baisse significative du SWB chez ces derniers, signalant que l’effet positif des Jeux sur le bonheur était de courte durée. Pour eux, la conclusion à en tirer est sans équivoque : "Nos résultats montrent que les Jeux olympiques de 2012 ont augmenté la satisfaction et le bonheur des Londoniens à court terme, en particulier lors des cérémonies d’ouverture et de clôture." Voilà qui nous permet d’espérer qu’au marasme qui accompagne la préparation de ces Jeux, se substitue, une fois l’été installé et la compétition lancée, la fièvre olympique tant attendue…