[Cannes 2024] Lætitia Dosch : “Dans l’œil d’un animal, tout est possible et étranger à la fois”
Comment vous est venu l’idée du procès du chien ?
J’ai rencontré une femme qui m’avait raconté l’histoire d’un procès autour d’un chien qui avait créé beaucoup de problèmes. J’ai ensuite découvert d’autres procès d’animaux dont un en Suisse, et je trouvais ça drôle et tragique en même temps. J’ai rajouté l’idée de faire appeler le chien à la barre, parce que la question du statut juridique des animaux m’intéresse. Ça me permettait de toucher à une question fondamentale qui est de savoir quelle place on leur donne. Je réfléchis beaucoup à comment aborder la question de notre place sur la planète et de notre rôle par rapport aux autres espèces.
Est-ce que c’est un clin d’œil à Anatomie d’une chute ?
Pour la petite histoire, en 2020 je me suis retrouvée par hasard dans un train avec Justine Triet, et en discutant elle me dit qu’elle écrit un film de procès avec chien, qu’il y a un personnage aveugle et un enfant. Et là j’ai eu peur, je me suis dit : “Mince on fait le même film, il va falloir que je laisse tomber.” Et donc ce n’est pas un clin d’oeil, c’est un hasard dû, je pense, à des intérêts similaires. Au final, les deux films sont très différents dons je suis rassurée.
J’ai l’impression que dans votre travail, vous faites un lien entre la manière dont on traite les animaux et notre manière de nous traiter nous entre êtres humains dans notre société.
Oui, je pense que notre manière de gérer le pouvoir sur les animaux, nous dit quelque chose de comment nous le gérons entre nous. Je pense qu’une des clés d’un futur viable c’est de comprendre les besoins de chacun et de les respecter. De comprendre aussi les limites de nos propres besoins, vis-à-vis des autres espèces, et des autres en général. J’avais rencontré une femme qui communiquait par la pensée avec les animaux comme le personnage de Jean-Pascal Zadi dans le film, et elle m’a dit cette phrase “je rêve de me réveiller dans un monde sans prédation”, elle voyait de la prédation partout chez les humains, et paradoxalement c’est pour ça qu’elle est allée vers les animaux.
Qu’est-ce qu’on voit dans l’œil d’un animal ?
Pour moi on y voit une sorte de mystère immense, une ouverture aussi, où tout est possible et tout est étranger à la fois. Je les vois presque comme des créatures parfaites, alors que nous au contraire, on a du mal à se sentir complet et en harmonie avec l’environnement qui nous ait donné.
Un souvenir marquant avec un animal dans votre enfance ?
Mon grand-père était ornithologue et il recueillait des oiseaux blessés. Un jour, je devais avoir 6 ans, il a recueilli une pie qu’on a ensuite appelée Mammouth qui vivait dans une volière à côté du téléphone. J’allais tout le temps la voir, et un jour elle s’est mise à parler, elle a dit “Allô Mammouth ça va bien ça va bien”, je l’ai raconté tout de suite mais personne ne m’a cru. En fait, elle avait appris ces trois mots en écoutant les gens parler au téléphone.
Pouvez-vous nous parler du personnage principal, cette avocate pour chien que vous interprétez ?
C’est un personnage de femme qui ne rentre dans aucune case, qui n’arrive pas à se définir, je trouvais qu’on ne voyait pas assez de personnages féminins comme ça. Je trouve aussi qu’il y a un parallèle rigolo avec les femmes et les chiens. Les chiens ont les a créés, choisi, façonner pour qu’ils nous aiment, pour combler notre manque d’amour. Et nous aussi en tant que femme on nous façonne, pour aimer d’une certaine manière, pour être au service des autres, pour être toujours compréhensives. Je voulais un personnage féminin un peu décalé qui contourne ces injonctions.
Vous êtes aussi à Cannes pour Le Roman de Jim, le nouveau film des frères Larrieux, vous pouvez nous en dire plus sur cette expérience ?
C’était mon rêve de travailler avec les frères Larrieux car je me sens proche d’eux pour différentes raisons. D’abord pour la liberté avec laquelle il traite les rapports humains et comment ils écrivent leurs personnages féminins, ils ont une sorte de fantaisie grave dans laquelle je me reconnais beaucoup. Ensuite pour leur lien avec la nature qui est très présente aussi dans Le Roman de Jim. Ils ont toujours été un exemple pour moi, et j’ai pensé à eux en écrivant Le procès du chien.
Le Procès du chien de Laetitia Dosch (France) avec Laetitia Dosch et Jean-Pascal Zadi. Présenté le 19 à Un Certain Regard.
Le Roman de Jim d’Arnaud et Jean-Marie Larrieu avec Karim Lecloux et Lætitia Dosch. Présenté le 22 à Cannes Première.