Défaite historique pour Erdogan aux municipales turques
L’opposition, Parti républicain du peuple (CHP) en tête, a infligé, ce week-end, aux municipales turques, un véritable camouflet au parti présidentiel (AKP) et à Erdogan qui, soucieux de récupérer son ancien fief, Istanbul, a personnellement mené campagne.
Istanbul, Ankara, Izmir, Adana, Antalya… la liste est longue des villes conquises par l’opposition, notamment le Parti républicain du peuple (CHP, social-démocrate), ou restées dans son giron. Et peut-être Recep Tayyip Erdogan regrette-t-il de s’être trop investi dans ces municipales, donnant à ce scrutin local une résonance nationale qui pourrait porter jusqu’à la présidentielle turque de 2028.« Ce revers électoral du président sortant et de l’AKP (Parti de la justice et du développement) est une surprise, reconnaît Bayram Balci, directeur de l’Institut français d’études anatoliennes (IFEA) et chercheur au CERI-Sciences Po. S’agissant d’élections locales, la personnalité des candidats pèse souvent plus que leur appartenance politique. Par ailleurs, les enjeux locaux que maîtrisent en principe mieux les élus municipaux ont prédominé sur les enjeux qui voient habituellement exceller Erdogan comme la défense, la sécurité et la politique étrangère. »« Et, reprend-il, les difficultés économiques de la Turquie ne plaident pas en faveur du pouvoir. Enfin, la bonne gestion de Mansur Yava à Ankara ou d’Ekrem Imamoglu à Istanbul a aussi compté. D’autres villes importantes, toutefois, sont restées ou passées dans les mains de l’opposition. Hier unie aux élections nationales, celle-ci avait perdu. Aujourd’hui désunie, elle gagne. »
Inflation à 67 %« On vote aussi avec son portefeuille, pointe, de son côté, Didier Billion, directeur adjoint de l’IRIS (Institut de relations internationales et stratégiques). Les promesses électorales non tenues avec une inflation à 67 % et une monnaie qui dévisse ont sans doute conduit une partie des classes populaires et des classes moyennes, notamment urbaines, à s’abstenir ou à voter pour l’opposition, voire pour le petit parti islamiste Yeniden Refah. En reprochant à Erdogan ses mauvais résultats économiques et son double langage dans le confit qui oppose, à Gaza, le Hamas à Israël, ce parti a, avec près de 6,2 % des suffrages, pris des voix au parti présidentiel. »
La désaffection des urnes a aussi pu jouer, mais à la marge : « Les Turcs ont pour habitude d’aller voter, rappelle Didier Billion. La participation frôlait ainsi les 89 % lors des élections nationales de 2023. Ce week-end, bien qu’en recul par rapport à 2019, elle s’élève quand même à 78 % ! »
Plus gros revers électoral depuis 2002La victoire du CHP est donc significative et ce, d’autant plus qu’à l’échelle nationale, il devance l’AKP avec 38,12 % des voix, contre 35,45 %, et s’offre 35 des 81 capitales provinciales contre 24 à l’AKP, dix au parti pro-kurde DEM et deux aux islamistes du Yeniden Refah. A Istanbul, dans les années 1990 fief d’Erdogan, Ekrem Imamoglu a été réélu avec 51,8 % des voix, s’adjugeant au passage 26 des 39 arrondissements contre 14 en 2019. A Ankara, Mansur Yava a, lui, glané 60,78 % des voix et seize des 25 arrondissements.Plus gros revers pour Erdogan et son parti depuis leur arrivée au pouvoir en 2002, ces résultats, qui doivent encore être proclamés par la Commission électorale, désignent le Parti républicain du peuple comme la principale force du pays et donc d’opposition.
Quand la révolution fait sa révolution
« Le parti kémaliste, conclut Didier Billion, s’arroge en fait une double victoire : contre l’AKP d’Erdogan, d’abord, et au sein de l’opposition, ensuite, puisque l’Iyi Parti (Le bon parti), est arrivé deuxième des forces de la coalition de 2023 avec seulement 3,77 % des voix, soit dix fois moins que le parti incarné par Ekrem Imamoglu. Le maire d’Istanbul, par son charisme et le poids politique, économique et symbolique de sa ville, est en passe de s’imposer comme le candidat naturel de son parti et, au-delà, de l’opposition pour la présidentielle de 2028. Mais Erdogan reste un animal politique et, même à 70 ans, n’a sans doute pas dit son dernier mot. »
Jérôme Pilleyre
Lire. Didier Billion, La Turquie, un partenaire incontournable, Éditions Eyrolles, 2021, 16,90 euros.