Bienfait Mandiela, alias Zed Christ, le plus congolais des rappeurs gaillards accompagné par Brive Festival (Corrèze)
Arrivé en Corrèze en 2018, ancien mineur isolé, actuellement en contrat du jeune majeur, le rappeur sera accompagné par Brive festival en vue de sa participation au Tremplin Corrèze.
« Je suis la souffrance d’une mère et la rigueur d’un père. » Ses yeux riants s’embuent lorsqu’il parle de sa famille restée au Congo. À tout juste 18 ans, Bienfait Mandiela a déjà vécu plusieurs vies.
Accueilli depuis 2019, au foyer de la Providence à Brive, qu’il vient de quitter pour le FJT, et un contrat du jeune majeur, il a trouvé dans le rap son moyen d’expression favori pour raconter le monde à sa façon.
Après sa participation sous le pseudo Zed Christ à la Première scène du Brive festival, il a été sélectionné par le jury pour bénéficier d’un accompagnement artistique personnalisé en vue d’une participation à Tremplin Corrèze 2022.
Au commencement était la sidérationBienfait Madiela est arrivé en France, à Toulouse, le 26 janvier 2019, après un périple de plus d’un mois vécu dans un état de sidération, après la séparation inattendue avec sa famille.
À l’époque, ses parents avaient dû fuir Kinshasa avec ses trois petits frères, parce que l’engagement politique de son père n’était pas au goût de certains militaires. Pour protéger l’aîné, suite à une descente de soldats à la maison, son père l’a confié à un passeur et l’a envoyé en France.
" J’ai vécu ce voyage sans vraiment réaliser ce qui m’arrivait, se souvient-il. Je me demandais pourquoi mes parents m’avaient fait ça. À l’arrivée à Toulouse, j’étais sale et épuisé. Le premier soir, j’ai dormi à la gare. Puis, j’ai été accueilli par le DDAEOMI (le Dispositif Départemental, d’Accueil, d’Évaluation et d’Orientation des Mineurs Isolés en Haute-Garonne, NDLR). Là, on a été gentil et bienveillant avec moi. Je me suis senti en sécurité."
Ses premiers pas en France ont été délicats.
« C’était la première fois que je vivais en collectivité, Sur place, il y avait, au moins, 100 personnes. Je ne parlais pas, j’étais très triste. Ma vie en France a commencé dans la douleur. Je n’ai pas eu de nouvelles de mes parents pendant trois mois. »
La renaissanceLe 8 août 2019, Bienfait a débarqué à Brive, au foyer de la Providence. "Brive est une belle ville, pas très grande et plus calme que Toulouse. Je me suis dit qu’ici j’allais pouvoir me concentrer sur mes études. "
C’est en Corrèze que le jeune homme retrouve sa joie de vivre. " Petit à petit, j’ai commencé à m’ouvrir aux autres et à faire de la musique. J’ai enregistré ma première chanson dans les Studios de Brive. Son titre était “Violemment”. Elle parle de mon déracinement. Ma mère me disait qu’il fallait un peu de violence, du courage et un fort instinct de survie pour me faire une place dans le monde. Le clip de cette chanson m’a permis de me faire connaître ici en tant que Zed Christ. "
Un rapeur au cœur tendre et footeux prometteurPourtant, on ne peut pas lutter contre sa nature, Bienfait est plutôt un garçon tendre et chaleureux. "Mon intégration s’est faite rapidement. Aujourd’hui, les gens m’invitent à manger chez eux. Je ne suis pas quelqu’un de timide, j’aime parler, aller vers les gens, les découvrir. Mon premier concert, je l’ai fait en fin de 3? à d’Arsonval. "
Je n’ai jamais senti le racisme. La plupart des gens veulent m’aider, au lycée ou ailleurs.
Le jeune homme ne s’appelle pas Bienfait pour rien. "Au Congo, on ne te donne pas un prénom comme ça. Il faut qu’il exprime ce que tu es vraiment. On m’a appelé Bienfait avec le souhait que ma vie soit bien faite. Je pense que ce que tu renvoies aux autres conditionne leur comportement envers toi. "
En dehors de la musique, une autre passion l’anime. Le jeune majeur joue au foot à l’Étoile de Brive. " J’ai fait U17, U18 et là je suis dans l’équipe B, au poste d’ailier droit. Je suis attaquant et buteur. Avec U17 j’ai dû faire une dizaine de matchs et j’ai marqué presque autant de buts. "
Les marchands de rêves congolaisLe Congo s’invite souvent dans ses pensées, ses rêves et ses chansons. " Je viens d’un pays qui n’a pas quatre saisons. Un pays béni avec des dirigeants maudits," chante-t-il comme pour mieux souligner le népotisme, la corruption massive et le vol organisé dans les caisses de l’État de ces marchands de rêves.
Au Congo, l’aîné d’une famille occupe une place très importante avec une responsabilité particulière. "Aujourd’hui, avec peu que j’ai, j’essaye d’aider ma famille, de leur envoyer un peu d’argent. Je suis fier de pouvoir le faire."
Il voudrait devenir journaliste ou nutritionnisteEn terminale générale au lycée d’Arsonval, Bienfait a pris deux options : l’histoire géopolitique et le cinéma.
" Pour mes parents, les études, c’est sacré. Je fais de la musique, mais je ne lâche pas autant mes études. Je veux les rendre fiers. J’ai passé mon bac de français avec une note de 12,75. Je n’ai pas de bases, je n’ai pas étudié en France, il a fallu me mettre à niveau. "
Plus tard, Bienfait Madiela aimerait devenir journaliste ou nutritionniste " pour aider mes frères en Afrique. J’aime aussi l’agronomie. "
La tournure que prend la campagne présidentielle en France le désole un peu. "Dans une chanson, je dis : La France n’appartient pas à Éric Zemmour. Liberté, égalité, fraternité. On se fait une équipe. Pour résister, il faudra bien lutter. "
Il a vécu le manque et l’absence et jette sur l’existence un regard teinté de lucidité amère. " J’ai vécu beaucoup de choses qui n’étaient pas de mon âge, mais, gloire à Dieu, je suis toujours là. " On vous l’a déjà dit, il ne s’appelle pas Bienfait pour rien.
Dragan PEROVIC