« L'extase du selfie et autres gestes qui nous disent » : le quotidien à nouveau observé par Philippe Delerm
Dans la veine de La première gorgée de bière et autres plaisirs minuscules, Philippe Delerm poursuit l'observation attentive de ses contemporains. Autres temps, autres textes, avec L'extase du selfie et autres gestes qui nous disent.
C'était il y a plus de vingt ans, et j'avais beaucoup aimé La première gorgée de bière, moi qui n'apprécie guère cette boisson en dehors de l'ambiance d'un pub irlandais ou d'un bar bruxellois. C'était il y a plus de vingt ans, et cette manière dont Philippe Delerm mettait des mots sur ces instants apparemment sans importance de la vie m'avait touchée. Ces instants qui font la vie un peu plus douce, qu'il prenait le temps non seulement d'apprécier, de savourer, mais aussi d'écrire. C'était il y a plus de vingt ans, et, avec mon père, nous nous étions offert mutuellement le livre.
Aujourd'hui, mon père n'est plus là pour que l'on s'offre des livres. Aujourd'hui, Philippe Delerm n'écrit plus les plaisirs minuscules, mais les gestes qui nous disent. Certains d'entre eux font aussi partie des cadeaux de la vie, comme sculpter un bâton pour l'offrir à un enfant, éplucher une clémentine d'une seule main ou se pencher sur l'épaule d'un bambin que l'on accompagne sur le chemin de l'école...
Agaçant...Mais, parmi les 47 brefs textes qui composent le nouveau recueil de Philippe Delerm, un bon nombre pointent des gestes qui sont plutôt agaçants pour l'entourage. Ainsi, sous le titre de L'effacement ostentatoire, quelques lignes permettent de visualiser en souriant une situation déjà vue de croisement de piétons sur un trottoir... pas si étroit ! Ou bien Jeu de paume, où l'auteur décrit précisément le "grand numéro" de l'automobiliste qui effectue sa manoeuvre en ne touchant le volant qu'avec la paume de la main. Et, bien évidemment, concernant la même partie du corps mais dans une autre situation, "la main qui s'éloigne pour ne prendre que soi", la fameuse "extase du selfie" qui donne son titre au recueil.
En tous cas, une chose est sure: le sens de l'observation de Philippe Delerm ne s'est pas émoussé au fil du temps. Ni la justesse de sa plume. Il nous connaît très bien et sait le dire parfaitement. Le miroir ne s'est pas terni. C'est l'image reflétée qui a perdu de sa superbe. A moins que les souvenirs ne soient enjolivés...
Pascale Fauriaux
L’extase du selfie et autres gestes qui nous disent, de Philippe Delerm, Editions du Seuil, 120 pages, 14,50€.