"Une histoire de France" ou la guerre d'une enfant bafouée par Joffrine Donnadieu
Le premier roman de Joffrine Donnadieu frappe fort. L'histoire de France (Gallimard), l'interminable et impitoyable guerre d'une gamine contre un ennemi trop grand pour elle : l'abus sexuel.
C'est un livre sur la douleur, plein d'une rage, d'une incompréhension et d'une souffrance qui exsudent par tous les pores de la peau, qui empoisonnent toutes les pensées, la moindre seconde de la moindre journée.
C'est un récit, au fond, parfaitement insoutenable, d'une dramaturgie implacable. C'est l'histoire d'une enfance bafouée, sans que personne (ou personne) ne le sache, dans le silence buté et destructeur de celle qui n'a pas les mots, pas même les sens encore pour saisir ce qu'il advient d'elle, et qui plonge dans les plus terribles affres.
Une enfance perdueRomy a 9 ans quand la guerre commence dans son corps innocent, contre son esprit forcément immature. Alors que sa mère, malade chronique, est hospitalisée, que son père, militaire alcoolique, lâche comme toujours prise, la gamine est confiée aux bons soins d'une voisine.
Bons ? Pour l'adulte qu'elle est, avide de sexe et de possession, sans doute. Mais pour Romy, les gestes qu'elle lui montre, les rapports qu'elle lui impose, le désir qu'elle lui force à partager, ne sont que les premières batailles d'une guerre qui devient à la vie à la mort.
La guerre du désirSous couvert d'amitié et de complicité secrète, France - c'est le prénom de la voisine, qui donne tout son sens au titre du roman d'un premier abord trompeur, comme les sourires enjôleurs dont elle se pare - France donc se mue en arme de destruction massive.
Dans cette ville de Toul où il ne se passe rien que la chose militaire, dans un milieu social sclérosé par le silence et la soumission, dans une famille tronquée par la maladie de la mère, l'absence et l'alcoolisme du père, Romy se retrouve seule en première ligne, sans personne pour l'entendre, la deviner, l'aider.
Bientôt il ne sera plus question de se remplir, de vomir, de se faire saigner, de se cogner, de se mutiler, de guetter son reflet, de marcher jusqu'à l'épuisement. Elle oubliera son corps, ses seins, ses hanches, son ventre, son sexe, ses poils, France.
Petit soldat courageux mais désarmé, elle retourne le combat contre elle-même. Passée la déflagration originelle, elle fait de son corps sa tranchée pour s'y calfeutrer autant que pour s'y faire du mal. De l'enfance à l'adolescence, elle use de tous les subterfuges, tous les excès, pour se construire et tenter de s'accrocher à la vie. France et ses méfaits toujours dans la tête, fracassée de l'intérieur jusqu'à l'extérieur.
Un récit d'une violence rentrée, hargneuse, renforcée encore par les affleurements d'une innocence enfantine contradictoire, d'une crudité sans fard et sans pathos, tout en tensions et en détestation, de soi, des hommes et de tous les autres, qui nous entraîne malgré nous dans les pas de Romy ; qui nous donne à voir, à ressentir de l'intérieur la prédation pédophile à l'œuvre. Un premier roman fort, très fort...
Blandine Hutin-Mercier
Une histoire de France, de Joffrine Donnadieu ; 267 pages, 19,50 euros.