L'affaire des « machines à sous déguisées » fait un flop devant le tribunal de Clermont-Ferrand, les dix prévenus relaxés
Soupçonnés d’avoir fabriqué, installé et exploité des bornes Web dissimulant des jeux de hasard clandestins, dix prévenus étaient jugés, ce lundi 17 juin, par le tribunal correctionnel de Clermont-Ferrand. L’audience a viré au fiasco.
Sept tomes volumineux empilés devant la présidente, des centaines de pages de procédure, six ans d’instruction, dix suspects renvoyés à la barre et cinq heures d’audience. « Tout ça pour quoi ? Pour rien », s’étrangle un avocat de la défense.
L’affaire débute en 2013, à l’initiative du service central des courses et jeux (SCCJ). Depuis Nanterre, cette unité chargée de la surveillance des casinos, des hippodromes ou encore des sites de paris s’inquiète du déploiement de dizaines de bornes Web dans des bars d’Auvergne et de Rhône-Alpes.
Poker et loterie proposés gratuitementLe principe ? Le client paie un euro pour surfer en ligne pendant quinze minutes. Il a alors la possibilité de participer à des jeux de hasard. Les parties de poker ou les loteries proposées par l’appareil ont trois caractéristiques : elles sont gratuites, n’amputent pas le temps de connexion Internet acheté et débouchent sur des gains non pas en espèces, mais en chèques cadeaux.
Le SCCJ soupçonne que ces bornes soient en fait des machines à sous déguisées, totalement illégales. Il décide donc de cibler deux sociétés chargées de les exploiter, installées dans l’Isère.
La PJ de Grenoble décline l’enquêteLa police judiciaire de Grenoble est logiquement sollicitée. Mais elle refuse de prendre l’enquête, par souci de « loyauté » : cela fait des années que les entrepreneurs en question lui rendent compte de leur activité en toute transparence.
Pour contourner l’obstacle, le dossier est dépaysé à marche forcée dans le Puy-de-Dôme et confié à une juge clermontoise. Toute la chaîne de l’escroquerie supposée – la circonstance aggravante de « bande organisée » est même retenue – va alors tomber. Dix personnes sont mises en examen, des créateurs toulousains des bornes aux chefs d’entreprise isérois et leurs épouses, en passant par un agent de maintenance et un éditeur de logiciels.
« J’ai tout fait pour m’assurer que j’étais dans les clous »Face au tribunal, les deux patrons ressassent toujours la même incompréhension. « J’ai tout fait pour m’assurer que j’étais dans les clous de la loi », martèle l’un d’eux, qui avait investi 420.000 € dans l’aventure et dit avoir « tout perdu » depuis son interpellation.
« Entre 2008 et 2013, poursuit-il, j’ai multiplié les rencontres avec la PJ, les douanes et le fisc pour expliquer le fonctionnement des machines. Rien n’était caché. On m’a parlé de flou juridique, mais personne ne m’a jamais dit que c’était interdit. Vous en connaissez beaucoup, des délinquants qui demandent à la police l’autorisation de commettre des délits? C’est juste absurde… »
La bonne foi du sexagénaire est confirmée par le numéro un de la PJ de Grenoble, venu témoigner à la barre en personne, à la demande de la défense. « Je vais être franc : à mon sens, ces gens ont fait tout ce qu’il fallait pour rester dans la légalité. C’est pour cela que nous avons refusé d’être saisis. Ils ont tout à fait pu estimer, au fil de nos échanges, que nous leur donnions une autorisation tacite. »
Le parquet jette l'épongeL’affaire s’effondre en direct. Le procureur jette l’éponge et requiert une relaxe générale, dans la lignée du non-lieu déjà réclamé par le parquet à l’issue de l’enquête. Les conseils des mis en cause (*) plantent allègrement les derniers clous dans le cercueil de la procédure, en étrillant à tour de rôle un dossier « bâti sur des mensonges », une justice « instrumentalisée » et des poursuites « déloyales »
Après un court délibéré, la décision tombe : tous les prévenus sont relaxés « faute d’élément matériel et intentionnel » caractérisant le moindre délit. Game over.
Stéphane Barnoin
(*) Mes Sayn (barreau de Lyon), Pianta (Thonon), Monneret (Marseille), Detroyat (Grenoble), David et Debuisson (Toulouse).
Deux prévenus pas tout à fait comme les autres. Comme l'a expliqué à la barre le patron de la PJ de Grenoble, l'un des entrepreneurs mis en cause dans ce dossier a fait un séjour de plusieurs mois derrière les barreaux au début des années 2000, pour ses liens présumés avec le grand banditisme. L'homme, aujourd'hui âgé de 62 ans, avait été interpellé dans le cadre d'un vaste coup de filet visant le "milieu grenoblois", en décembre 2004. En juin 2005, il avait néanmoins bénéficié -ainsi que tous les autres mis en cause- d'un vice de forme imputé au juge d'instruction, qui avait provoqué l'annulation pure et simple de la procédure et sa remise en liberté. "Quinze caïds grenoblois libérés suite à l'erreur d'un juge", avait alors titré Le Monde. A l'autre bout de la chaîne, le fabricant toulousain des fameuses bornes Web a réorienté ses talents de créateur au service d'un barbecue "révolutionnaire". L'invention, désormais commercialisée, lui a valu de décrocher la médaille d'or du concours Lépine international en 2016 et plusieurs passages à la TV. Un avantage, forcément, au moment de passer sur le gril du tribunal...