SOS médecins : au chevet des habitants de Clermont-Ferrand nuit et jour depuis 30 ans

Contestée à ses débuts, mais incontournable aujourd’hui, SOS médecins fête trois décennies de permanences de soins pour Clermont-Ferrand et son agglomération. Ses dix médecins interviennent sur 18 communes : en consultations ou en visites à domicile, avec une régulation sept jours sur sept et 24 heures sur 24.

Sur la carte qui se réactualise à l’écran de la régulation, à SOS médecins Clermont, un point vient de passer du vert « dispo » au bleu ciel « en route ».

Dans la vraie vie, le Dr Thierry Pfazgraf vient d’être envoyé sur l’appel d’un malade alité en sortie d'hôpital, en sans autre médecin pour passer à son chevet.

Sur le terrain, la vraie vie

Pas de signe de reconnaissance sur la voiture qui se gare dans la cité. Un grand barbu à l’allure bourrue mais à l’humour facile descend. Se jette un gros sac sur l’épaule et file à grandes enjambées en vérifiant le message sur son mobile.

Il bute sur l’interphone : pas de nom correspondant à celui de la mission. Classique.

Mais il connaît par cœur l’agglomération, alors, au moins, il n’a eu aucun mal à trouver l’immeuble.

D’ailleurs on le reconnaît lui aussi. Quand on lui ouvre enfin, au bon étage : « Mais c’est vous?! C'est vous qui avez convaincu ma maman d’arrêter de fumer il y a quelques années?! Vous lui avez demandé si elle voulait vous revoir parce qu’il faudrait lui couper un pied. À votre départ, elle est venue me trouver dans la cuisine pour me dire qu’elle allait arrêter. Et elle l’a fait?! »

Cette fois, il s’agit d’un patient fragile, mais facile. Une plaie s’est infectée au retour d’hospitalisation. Prescription, recommandations, salutations…

Toujours plus (trop?) d’appels

Il fait beau. Aujourd’hui le Dr Pfazgraf n’a pas tenu le décompte de ses visites. Il y en a parfois 28 à la fin d’une garde où les médecins ne réussissent pas toujours à attraper de quoi manger.

Il faut dire que le delta ne cesse d’augmenter entre les appels et la difficulté à recruter des volontaires pour cet exercice de médecine volante… parfois même de haute voltige.

« Le profil classique SOS, c’est un généraliste qui a de l’expérience en médecine d’urgence, au moins en pratique hospitalière… Historiquement, c’était même un débouché pour les urgentistes »

« Il faudrait que l’on soit au moins 12 médecins à Clermont », estime le Dr Pfazgraf, avec le recul de 30 ans d’exercice puisqu’il est à l’origine de SOS médecins Clermont.

Depuis qu’il l’a imaginée alors qu’il servait aux sapeurs-pompiers de Paris, la structure initialement dédiée aux visites à domicile a dû être repensée et ouvrir des salles de consultation : plus assez de médecins et de temps pour répondre à cette demande de soins (en urgences relative et médecine générale) qui évolue plus vite que la capacité de prise en charge.

Pourtant à sa création ( le 9 septembre 1989), les débuts de SOS médecins sont compliqués par de nombreuses oppositions locales, jusqu’à celle du Conseil de l’ordre. On lui reproche un « exercice illégal de la médecine », la pratique de « médecine foraine »… Le tribunal de grande instance de Clermont doit finir par rendre  un jugement pour que son droit d’exercer soit reconnu.

Comme pour prendre le pouls du territoire

Aujourd’hui, avec l’AMUAC sur Clermont, SOS médecins assure la permanence des soins 24h/24 et tous les jours de l’année. Mais c’est aussi un standard ouvert de jour comme de nuit pour la permanence des soins sur 18 communes de l’agglomération.

La structure remplit également une mission de service public en assurant les consultations de garde à vue (police et gendarmerie).

Dans la panoplie du Dr Dissard, pas de matériel de réanimation invasive. SOS médecin fonctionne en cohérence et relation avec le centre 15 qui rebasculera sur le Samu si nécessaire. Mais il y a du matériel de ventilation léger, beaucoup d’injectables d’urgence. « Parfois, une réanimation manuelle suffit »

Et, elle répond de plus en plus fréquemment à une urgence sociétale : faite de malades désemparés faute d’être vus ni visite, ni en consultation avec des cabinets qui « ne prennent plus de nouveaux patients ».

Avec 30 % de prises en charge sous couverture médicale universelle (CMU), SOS médecins visite aussi des personnes précaires si marginalisées qu’elles n’ont aucun moyen de se déplacer. Parfois, aussi, il faut décoder. « Il y a des adresses où, quand une personne a trop mal au pied pour venir, il faut comprendre “non sédentaire” qu’on ne gagnera pas à déplacer », explique le Dr Laurent Dissard, venu « par hasard » à SOS médecins et désormais président.

« J’aime cette grande diversité d’exercice. On part aussi bien pour des réfugiés auprès desquels on intervient avec un interprète, que pour assurer les examens en garde à vue, faire de la pédiatrie, assurer des urgences plus graves en pré-smur… On peut passer de gens totalement démunis à des patients en médecine de confort. Ça permet de prendre un peu le pouls du monde. »

Impatiences au standard de la régulation

« SOS Médecins j’écoute…. ».  

Dans des locaux modernes en plein Clermont, ce jour-là, c'est Caroline Dehon qui prend la  longue permanences de régulation médicale. Autour d'elle : un standard téléphonique et des postes pour les bascules d’appel vers les services de secours, de police, le centre « 15 », et les médecins sur place ou sur le terrain.

Elle joue sur deux écrans : un pour documenter les consultations et les visites en fonction des appels et demandes en cours?; l’autre pour géolocaliser les médecins sur le terrain et savoir où ils en sont de leurs prises en charge.

Son premier appel n’est pas vraiment une urgence, mais le médecin traitant du malade fait le pont. Caroline fixe un rendez-vous en consultation : « D'accord, à 21 heures puisque vous travaillez avant ».

Pour le second appel, on l'entend demander la température. Puis « depuis combien de temps?? » Et l’état général du patient. C’est un enfant. Coup d’œil à l’écran des médecins sur le terrain. « On va passer vous voir ».

Au troisième, les choses se compliquent. C’est un laboratoire qui rappelle pour une dame vue la nuit précédente. Elle avait refusé de se faire hospitaliser. Cette fois, Caroline passe au médecin qui, devant la gravité du cas, rappelle la patiente et lui trouve une place en cardiologie qui évitera un passage aux urgences. Le quatrième est pire, mais elle saisit vite la dimension psychotique de l’appelant.

Parfois, il faut aussi avoir transférer directement au Samu. Prendre des rendez-vous d’examens. Et rester attentive, coûte que coûte.

À SOS médecins depuis 1990, Caroline en a vu de toutes les couleurs. Mais le nuancier passe de plus en plus souvent au rouge impatience. « Les gens sont de plus en plus pressés. Certains nous demandent si on fait des arrêts maladie avant même de dire ce qui leur arrive?! » Pas un médecin de SOS ne la contredira.

Une idée sortie... des tuyaux.

SOS médecins est créé en 1966 par le Dr Marcel Lascar. L’anecdote veut que l’idée d’un service de permanence des soins de nuit comme de jour ait germé, avant même la création du Samu et du « 15 ». Il vient d’ouvrir son cabinet : la révélation lui arrive… par la plomberie. Une rupture le menace d’inondation.

« En pleine nuit, j’ai pu appeler SOS Plombier au 99.99. Dans la demi-heure, ils étaient là. Et je me suis dit : "Merde alors, pour un médecin, c’est impossible". En 1966, en France, on traite donc mieux les tuyaux de plomb que les coronaires ? » rapporte une interview du Parisien pour les 50 ans de l’association, en 2016. C’est ainsi que le médecin libéral file… démarcher SOS plombiers pour monter une filiale ! Numéro d’appel : Port Royal 51.99.

Un demi-siècle plus tard, SOS Médecins assure 80 % de la permanence de soins ambulatoire en milieu urbain et périurbain, sur 90 % des villes de plus de 100.000 habitants. C‘est 6 millions d’appels par an, plus de 2 millions visites à domicile et 400 000 consultations. A Clermont-Ferrand, c'est  : 55.000 actes/an à raison d’environ 120 actes par jour. Avec, désormais 60 % de consultations.

Anne Bourges Photos Jean-Louis Gorce