Mort de Shaoyao Liu: une nouvelle génération de Chinois se fait entendre
Leurs parents "se considéraient comme étrangers" et restaient en retrait. Mais une nouvelle génération de Chinois de France, jeunes et plus intégrés, se fait désormais entendre, révoltée par la mort d'un homme tué par un policier.
"Lorsqu'un Chinois est tué par la police, il n'y a aucune réaction officielle", s'indigne Zhou, 20 ans, venue manifester jeudi à Paris. Cette étudiante fait le parallèle avec Théo, ce jeune Noir grièvement blessé lors de son interpellation, que le président François Hollande était allé voir à l'hôpital. L'affaire Théo avait relancé le mouvement contre les "violences policières".
Depuis le début de la semaine, des centaines de jeunes manifestants ont protesté chaque soir après la mort de Shaoyao Liu, un père de famille de 56 ans, tué dimanche soir à son domicile par un policier alors que, selon la police, il agressait avec des ciseaux un autre agent. Une version contestée par la famille.
La colère s'est répandue rapidement sur internet. Vendredi, une pétition exigeant "justice et vérité pour Shaoyao Liu" avait rassemblé près de 50.000 signatures.
Une mobilisation rare pour la communauté chinoise de France, estimée à 600.000 personnes, dont la moitié en Île-de-France.
La première génération de Chinois de France, des migrants de Wenzhou (Zhejiang) arrivés dans les années 1970-1980, s'exprimait peu. Installés dans les quartiers parisiens d'Arts-et-Métiers, puis de Belleville, du XIIIe arrondissement et dans la banlieue nord de Paris pour travailler notamment dans la confection et la restauration, ils étaient souvent sans papiers et maîtrisaient mal le français.
"Ils se voyaient mal critiquer la police et ils se considéraient comme étrangers en France", analyse Richard Beraha, auteur de "La Chine à Paris". Mais la nouvelle génération, née en France et totalement intégrée, qui a fait des études ou s'est lancée dans des activités commerciales, n'a plus peur de crier ses revendications, "et les anciens, qui étaient réticents, accompagnent le mouvement", explique le chercheur.
Ces dernières années, des manifestations ont déjà rassemblé des milliers de membres de la communauté. Mais c'était pour réclamer plus de sécurité.
En 2016, après une agression mortelle à Aubervilliers en banlieue parisienne - première plateforme d'import-export textile d'Europe où travaillent 10.000 personnes originaires de Chine - les manifestants agitaient des drapeaux français. Six mois plus tard, changement de ton, des cris de "police assassin" retentissent et des projectiles visent les forces de l'ordre.
"Il y a eu un tournant", note Olivier Wang, cofondateur de l'Association des jeunes Chinois de France, et conseiller municipal du XIXe arrondissement, où Shaoyao Liu est mort. "On entend des jeunes qui se sentent mal aimés par la police", "pourtant c'était les jeunes qui étaient là en 2016 pour réclamer plus de policiers, plus de caméras".
- "Goutte d'eau" -
"Les Chinois ne demandaient pas d'autre chose que la sécurité, mais ils ont été méprisés par le gouvernement. Aujourd'hui c'est la goutte d'eau qui fait déborder le vase", témoigne Yehman Chen, 49 ans, "révolté comme tout le monde".
Certains se plaignent d'avoir été agressés plusieurs fois et d'avoir eu des difficultés à porter plainte, comme Weirong Zhang, comptable et mère d'un petit garçon: "La première fois c'était en 2003, j'étais ici depuis quelques mois, on m'a volé ma valise: tout ce que j'avais! Je suis allée à la police. Ils m'ont demandé s'il y avait des papiers, une carte bleue. Non? Alors, ils m'ont découragée de déposer plainte."
L'avocat François Ormillien, qui défend notamment la famille Liu, assure qu'il y a une "demande forte de réponse au niveau judiciaire, pour les victimes d'agressions civiles comme de répressions policières."
Les manifestants sont d'ailleurs soutenus par des militants contre les violences policières, comme le collectif "Urgence notre police assassine".
Une source policière se dit "étonnée de ces manifestations" en raison des "bons rapports avec la communauté chinoise". Mais elle relativise leur ampleur: "trois cents personnes rapportées à la communauté chinoise en région parisienne, ce n'est pas tant que ça".
Une autre source policière insiste sur les "récupérations de cette affaire locale" et sur le profil inquiétant de certains manifestants, "des personnes connues des services de police pour des infractions en lien avec une forme de criminalité organisée". En septembre, Hao Quin Cao, dit "le gros", une figure connue notamment pour des affaires de proxénétisme, était en première ligne de la mobilisation à Aubervilliers.