"Le tatouage exprime ce que parfois la bouche n’arrive pas à dire" : l'éclairage d'un barde tatoueur de Brive

Marquer sa peau à l’encre indélébile est devenu un effet de mode, mais dans la plupart des cas, il demeure une manière de graver à jamais un souvenir.

A l’origine, le mot tahitien tatau, qui a donné tatouage, signifie  dessin de l’esprit  ou  marque divine . Dans son livre Tristes tropiques, (1955), l’anthropologue Claude Lévi-Strauss écrit : « Il fallait être peint pour être homme. Celui qui restait à l’état de nature ne se distinguait pas de la brute. » À l’heure actuelle, le tatouage est devenu un phénomène mondial et culturel de masse. Selon les chiffres de 2020, de l’institut de sondage Ipsos, un Français adulte sur sept est tatoué. Chez les moins de 35 ans, plus d’un actif sur quatre porte un tatouage. Tribal, old school, graphique, réaliste… Chacun peut trouver son style, ce qui amène dans les salons de tatouages un public de plus en plus large. 

Un barde du tatouage

Les conventions de tatouages se multipilient en France. A Brive, à l’espace des Trois Provinces, une première manifestation internationale de ce type, Tattou expo, réunira, pour la toute première fois, 150 artistes tatoueurs français et étrangers du 7 au 9 avril.  C’est le peintre et barde du tatouage gaillard, Patrick Chaudesaigues  (plus de trente ans de métier) qui est le parrain de cette manifestation.« À mes débuts, le tatouage était un réflexe anti-social, réservé aux populations marginales, à une culture underground, raconte-t-il. Avec le temps, il s’est démocratisé et touche aujourd’hui toutes les professions et couches sociales. Chez les tatoueurs aussi, on a vu une évolution des styles et des visions du corps tatoué. Entre les petits tatouages un peu mode et de grandes fresques intradermiques, il y a toute une palette d’engagements, d’émotions et de démarches. » 

Marquer sa peau n'est pas un geste anodin 

Marquer sa peau à l’encre indélébile est devenu un effet de mode, mais dans la plupart des cas, il demeure une manière de graver à jamais un souvenir. Souvent, le tatouage raconte une étape importante dans la vie du tatoué, exprime ses idées, sa personnalité. Il lui permet aussi et surtout de prendre le contrôle de son apparence et de son corps. « Je reste dans l’idée d’un tatouage hyper esthétique, avec un sens profond pour la personne qui le porte, explique Patrick Chaudesaigues. On peut faire un petit tatouage en famille ou entre amis, marquer une rencontre, sceller à jamais un souvenir. » 

Derrière le tatouage, il y a toujours une démarche symbolique, un sens. Il faut une mise en scène qui a un lien fort avec l’histoire, le vécu de la personne. C’est souvent très intime.

Le tatouage évoque les grandes étapes de vie humaine 

Le tatouage se raccroche aux grandes étapes de la vie humaine, une joie ou une douleur, des émancipations et des mariages, des naissances et des séparations. « Il y a des gens qui ressentent le besoin de graver dans leur chair les symboles, pour leur rappeler des événements. Le tatouage exprime ce que parfois la bouche n’arrive pas à dire, insiste l’artiste.»On cherche parfois, dans le tatouage, également une dimension magique, thérapeutique, porte-bonheur.Patrick Chaudesaigues dessine des pièces fantastiques et réalistes, mettant en scène des passions. Comme sur la grande fresque « Les sept péchés capitaux », couvrant le dos d’un de ses clients, dont la photo est affichée dans son salon. « On cerne assez vite la demande d’un candidat au tatouage. En fait, il n’y a pas beaucoup d’émotions humaines. Colère, peur, désir, envie, remords, regret, espoir.... On fait vite le tour. Napoléon disait “qu’un petit dessin valait parfois mieux qu’un grand discours”. »  

Des barbelés qui se transforment en oiseauxDans ses tatouages, Patrick Chaudesaigues cultive une attitude positive.

Le tatoueur cultive une attitude positive. « Des gens viennent parfois avec des idées noires. Mais dans le tatouage, je leur propose toujours  “une porte de sortie”.»  Sur une photo dans son salon, on voit un tatoué avec des ailes couvrant la totalité de son dos. « Le père de ce jeune homme, mort à 32-33 ans, l’appelait toujours “mon ange”. Il est donc venu chez moi pour se faire tatouer des ailes d’ange, mais enfermées dans des fils de fer barbelés. C’est puissant, mais sans trop de perspective, ni évolution. Après discussion, il a accepté ma proposition. Sur le tatouage, à un endroit, les barbelés se cassent pour devenir des oiseaux, on oppose ainsi l’enfermement à la liberté. C’est l’exemple type de ma démarche. »  Parmi les tatouages qui ont marqué Patrick Chaudesaigues, l’un occupe une place à part : « J’ai fait un bras intégral à une amie qui faisait partie des pompiers de Paris et qui est partie aider ses homologues américains après les attentats du 11 septembre. Le tatouage représente la statue de la liberté en pleurs, avec des tours du World Trade center en flammes en arrière-plan et son casque de pompier à côté d’un casque de son homologue américain. C’est un tatouage commémoratif ».

Des tatouages qu'il ne veut pas faire 

Le tatoueur briviste n’accepte pas de faire certains tatouages. « Les jeunes abordent de plus en plus des tatouages faciaux ou sur les mains. Je les invite à un peu de réflexion avant. Parce que je pense quand même que pour la grande part de la population française, le tatouage sent encore un petit peu le souffre. »

 

Texte : Dragan Perovic 

Photos : Stéphanie Para