Pendant la Seconde Guerre mondiale, la Milice était peu implantée en Creuse mais avait un fort pouvoir de nuisance
Raconter l’histoire de la Milice en Creuse, c’est explorer cette part sombre de la collaboration dans notre récit national et local. L’ouvrage de Christian Penot met en lumière un mouvement qui rassemble peu d’adhérents, passe son temps à se diviser et affiche surtout un pouvoir de nuisance par la dénonciation et les renseignements fournis aux Allemands.
La Milice en Creuse… ça n’a jamais marché. La bouture n’a pas pris dans ce département foncièrement républicain. Durant cette histoire bien courte – de février 1943 à juin 1944 – fort peu de Creusois ont adhéré au mouvement. Selon les registres, ils sont 135 à 188 miliciens à avoir pris leur “carte”… sur 200.000 habitants.
Avec des membres de sa famille dans le maquis, proches du colonel François, patron de la Résistance creusoise, Christian Penot qui est né à Guéret s’est pris de passion dès l’enfance pour l’histoire de cette période.
Depuis 15 ans, ce cadre de la Poste installé en Haute-Vienne, s’est investi dans ses recherches. On lui doit déjà un premier livre, Du maquis creusois à la bataille d’Alger, Albert Fossey dit François. De la Résistance à l’obéissance (l’Harmattan, 2014). Il alimente aussi de nombreux actes de colloques et de l’Association pour la recherche sur la Résistance et l’occupation en Creuse, présidée par Guy Avizou.
Christian Penot, historien.
Pourquoi la Milice n’arrive pas à s’implanter en Creuse ?
Le terreau est trop républicain. Avec des valeurs profondément enracinées, comme le mouvement coopératif qui va non seulement recaser les fonctionnaires radiés par Vichy, notamment les enseignants, mais en plus agir pour la Résistance. Ces coopératives, souvent de consommation, étaient inattaquables en ces temps de pénuries. S’en prendre à elles c’était rendre encore plus difficile le ravitaillement des Creusois.
Une Milice qui pèse d’ailleurs peu en Creuse…
Oui, et le livre porte sur les membres réels de la milice. Car après la guerre, on a un peu tout mélangé. Tout collaborateur était considéré comme milicien, mais ce fut plus complexe.
Pourquoi d’ailleurs vous intéresser à la Milice ?
Faire des recherches, c’est tirer un fil qui n’en finit pas. J’ai la chance d’habiter non loin des Archives départementales en Haute-Vienne, et j’ai commencé mes recherches quand la loi à ouvert ces archives. Limoges a d’ailleurs fini par centraliser – parce que c’est le ressort de la cour d’appel – tous les documents sur les procès d’épuration. Donc ceux de la milice. Et, c’est étrange, il n’y a presqu’aucun sur la Corrèze et la Haute-Vienne, mais des cartons pleins sur la Creuse. En les ouvrant, j’ai commencé par lire des notices biographiques… Ces personnages, leurs parcours, m’ont donné envie de retracer cette histoire.
Dans votre introduction, vous prévenez que vous citerez les noms des personnes impliquées, mais que cela ne doit faire peser aucun poids sur leurs descendants qui n’y sont pour rien… Pourtant, vous anonymez certains personnages, pourquoi ?
Je n’ai voulu citer que ceux qui avaient eu des responsabilités, des postes importants ou un rôle déterminants, comme ces trois femmes, ces “diaboliques d’Aubusson” qui ont fait tomber, à elles seules, presque toute la résistance locale. Pour d’autres, au rôle plus mineur, je ne les ai pas révélés. Vous savez, c’est une histoire encore très douloureuse dans certains coins de Creuse, encore aujourd’hui.
Oui, car la Milice, avoir été milicien, ça reste quelque chose d’impardonnable ?
Oui, très clairement. C’est encore considéré comme l’un des pires actes de trahison. Alors que d’autres collaborations ont existé.
Comment expliquez-vous qu’en Creuse il y ait eu beaucoup moins de publications sur l’histoire de cette période qu’en Corrèze ou Haute-Vienne ?
Il y a peut-être une explication simple : les chefs de la résistance locaux sont morts, pour la plupart, prématurément. Or, cette période a d’abord été écrite par les biographies et mémoires de ceux qui l’ont vécue. Un matériel qui a servi de base de travail aux historiens par la suite.
Même si les parallèles sont risqués, voyez-vous ressurgir aujourd’hui des éléments de cette époque ?
En 1940, on a ouvert la boîte de Pandore, les extrémistes, les marginaux, sont arrivés au pouvoir. Pétain, comme a dit Maurras, a été leur divine surprise. Aujourd’hui, je ressens une tension dans notre société qui me fait penser à ça.
Histoire de la milice en Creuse 1943-1945, Un corps étranger dans le Limousin républicain ; Éditions La Geste ; 22 euros. Christian Penot sera en dédicace le 19 mai au salon du livre de Chéniers.
La Milice en Creuse, ce fut avant tout un pouvoir de nuisance par la dénonciation. Car, dans les faits, elle n’a jamais vraiment été armée. L’ouvrage de Christian Penot rapporte un seul “fait d’arme” en Creuse : l’assassinat des cousins Bareige et d’Alphonse Chiozzini en juin 1944 près de La Souterraine. Un acte plus crapuleux que politique, vu que les trois victimes ont été dépouillées de la forte somme d’argent qu’elles transportaient. Trois morts directes, mais les renseignements fournis aux Allemands ont participé à l’arrestation, la déportation ou la mort de personnes que les miliciens ont dénoncées. Et la sanction n’a pas attendu la fin de la guerre pour être prononcée. Le maquis règle leur compte aux dénonciateurs, aux collabos. Parfois sans faire de détail. Comme ce soir de mars 1944 à Noth où les résistants veulent faire payer une dénonciation. Sauf que l’intéressé n’est pas là, mais l’expédition se termine par la mort de trois membres de sa famille. Au final, une quarantaine de miliciens seront exécutés, avant ou après la libération. Soit près d’un quart de ceux qui avaient rejoint la milice en Creuse.
Eric Donzé