Ce village du Cantal tire un trait sur son école : est-il condamné à mourir ?

La délibération n’a fait aucun bruit mais elle a surpris. À Saint-Santin-Cantalès, 300 habitants, l’ultime sonnerie résonnera bientôt dans la cour de récré. À la fin de l’année scolaire, l’école fermera, alors qu’elle compte aujourd'hui pas moins de 14 élèves et deux postes d’enseignantes. Au village, les avis sont partagés. Les habitants comprennent les parents, qui préféraient envoyer leurs enfants à Laroquebrou. Mais certains regrettent que le conseil municipal ne se soit pas battu pour défendre l’intérêt général. Reportage.

« Je préférerais que l’école reste ouverte. Ça fait plus de vie pour le village », songe Régine, agricultrice à Saint-Santin-Cantalès. Sa fille, en CM2, est l’une des 14 élèves de l’école de la commune, qui compte actuellement deux postes d’enseignantes. Pourtant, le 21 février dernier, le conseil municipal a voté pour sa fermeture. Peu avant, l’Inspection académique avait annoncé au maire que son école perdrait un poste à la rentrée de septembre. En théorie, elle aurait pu rester ouverte, avec une grande classe unique composée de 12 élèves durant l’année scolaire 2024-2025.

Carte scolaire : voici la liste des ouvertures et fermetures de classes dans le Cantal

Mais les élus et les parents en ont décidé autrement. Après son entretien avec l’Inspection, « le maire a prétendu qu’il fallait envoyer les CM1 et les CM2 à l’école de Laroquebrou. Quand les parents d’élèves ont vu ça, ils ont dit : “si on envoie les CM1 et les CM2, autant envoyer tout le monde à Laroquebrou” », retrace Charles Espalieu, ancien maire de Saint-Santin-Cantalès entre 1989 et 2014. « Alors les parents ont écrit une lettre pour demander la fermeture de l’école, poursuit-il. Mais le dernier mot, ce sont les élus qui l’avaient ! »

« Les parents décident. Moi, j'aurais fait comme eux »

Dans cette commune rurale de 300 habitants, à 11 kilomètres de Laroquebrou, la délibération du conseil municipal est passée comme une lettre à la poste. Il n’y a pas eu le début d’une manifestation pour « sauver l’école », comme on peut en voir dans de nombreux villages qui se rebiffent contre l’Éducation nationale.

Christian comprend le choix des parents. Photo Jérémie Fulleringer.

« Les parents décident. Moi, personnellement, j’aurais fait comme eux », admet Christian, un jeune retraité arrivé à Saint-Santin-Cantalès voilà quatre ans. Il considère néanmoins que cela n’augure rien de bon pour l’avenir. « Il n’y a eu aucune bataille, déplore-t-il. Sans école, on ne peut pas attirer de jeunes. Et pour réussir à la rouvrir une fois qu’elle est fermée, faut y aller... »

« Les petits, c’est la vie »

Seule lueur d’espoir dans le petit bourg de Saint-Santin-Cantalès : l’auberge du village. Elle vient d’être reprise par Yves Russo, qui a récupéré les clefs avant-hier. Le 5 juin, il y ouvrira la pizzeria Le Napoli, avec sa formule à 15 € le repas ouvrier. « C’est dommage », réagit-il lorsqu’on lui apprend que l’école  connaît là son ultime trimestre. L’information n’était pas encore remontée jusqu’à ses oreilles. « Les petits, c’est la vie. Mais je comprends les parents... À l’époque, j’avais deux enfants de trois ans d’écart : lui partait d’un côté et lui de l’autre. Je l’ai vécu. C’était compliqué », compatit-il en offrant le café.

Yves, le nouveau gérant de l'auberge, qu'il va transformer en pizzeria. Photo Jérémie Fulleringer.

Deux mois plus tard, Charles Espalieu n’arrive toujours pas à digérer la nouvelle. « Cette nuit encore, je me suis réveillé à 2 heures du matin et j’y ai pensé. Ça me perturbe sérieusement. La fermeture de l’école, je l’ai en travers de la gorge. Pendant vingt-cinq ans, on s’était battu pour la conserver », soupire celui qui fût premier édile des années 1989 à 2014. « À la limite, je comprends les parents. Mais quand on est maire, on n’est pas là pour faire plaisir à quelques personnes : on doit prendre des décisions dans l’intérêt de la commune, estime Charles Espalieu. Je ne crois pas l’avoir inventé... on dit bien que quand son école ferme, c’est la mort d’une commune, non ? »

Avec ses « quatre gamins », le maire de Rouffiac fait école

Lors de la rentrée 2023-2024, à une douzaine de bornes de là, le maire de Rouffiac s’était battu, coûte que coûte, afin de maintenir son école ouverte, même pour quatre élèves. À l’époque, Charles Espalieu avait trouvé ça dingue. Depuis, il a changé d’avis. « En définitive, je dis “bravo” au maire de Rouffiac, lance-t-il. Il est têtu, il a gardé son école pour quatre enfants. Pour moi, ça ne tient pas debout... mais il a une école ! Peut-être que sa commune a de l’avenir et qu’il a raisonné dans ce sens. C’est le rôle du conseil municipal que de prévoir l’avenir. Finalement, même avec quatre gamins, il n’a pas complètement tort... »

N.B. : Alain Espalieu, maire depuis 2014, et Charles Espalieu, ex-maire de 1989 à 2014, n’ont aucun lien de parenté.

Le maire préfère garder le silence

Contacté lundi 22 avril, Alain Espalieu, maire de Saint-Santin-Cantalès depuis 2014, n’a pas répondu favorablement à notre demande d’interview. « Je ne veux pas m’étaler, coupe-t-il. Je préfère qu’il n’y ait pas d’article », ajoute-t-il plus loin dans la (brève) conversation. Selon lui, cette délibération adoptée en conseil municipal est « consécutive au choix des parents, qui nous ont remis une lettre, signée », qu’il a présentée aux autres élus, ayant donc voté en connaissance de cause. « Tout ce que je peux vous dire, c’est que ce n’est pas facile, conclut Alain Espalieu. Je ne crois pas qu’il y ait déjà eu un maire qui ferme une école en sabrant le champagne. Ça m’étonnerait… »

Romain Blanc

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