Un silence assourdissant. Quatre jours après l’attaque iranienne sur son pays, Benyamin Netanyahou n’a toujours pas pris la parole. De Tel-Aviv à Eilat, beaucoup d’Israéliens, pourtant, aimeraient entendre leur chef. Car tous, ici, mesurent à quel point le moment est historique. Pour la première fois depuis la guerre du Golfe (1991), Israël a subi une attaque sur son sol. L’avenir du pays n’a jamais été aussi incertain depuis la guerre du Kippour, voilà un demi-siècle. Mais le Premier ministre israélien ne parle pas. Pis, le site d’information Walla a révélé que "Bibi" avait passé cette folle nuit du 13 au 14 avril dans la luxueuse villa du milliardaire Simon Falic, dotée d’un abri antimissile ultra-sophistiqué.

L’idée que Benyamin Netanyahou ait dormi ce jour de shabbath à proximité d’un bunker, coupé du monde, tandis que le ciel hébreu était constellé d’explosions et que le pays plongeait dans l’angoisse, lui sera sans doute reproché un jour – comme bien d’autres erreurs. Mais aujourd’hui, à Jérusalem, l’heure est trop grave pour lui demander des comptes.

En tirant pendant cinq heures plus de 300 drones et missiles (certes sans faire de dégâts, grâce à l’alliance défensive régionale pilotée par Washington et à l’efficacité du système antimissiles israélien), l’Iran n’en a pas moins brisé un tabou : celui d’oser frapper directement l’Etat juif sur son territoire. "Il s’agit d’un événement sans précédent dans l’histoire du Moyen-Orient, confirme l’ex-chef du renseignement militaire israélien, Amos Yadlin, et aussi d’un changement de mode opératoire de Téhéran qui a toujours préféré passer par ses supplétifs régionaux, le Hezbollah libanais, les Houthis au Yémen ou le Hamas à Gaza."

Double échec iranien

Conçue comme une riposte de l’Iran à une frappe aérienne attribuée à Israël, le 1er avril, contre un bâtiment consulaire à Damas qui a tué sept membres du corps des Gardiens de la révolution, dont un haut gradé, l’opération de représailles s’est soldée par un échec. Sur le plan conventionnel, d’abord, puisque 99 % des missiles et de drones ont été stoppés. "Nous avons intercepté. Nous avons bloqué. Ensemble, nous gagnerons", a ainsi posté sur X, dimanche 14 avril, le Premier ministre israélien lors de son unique réaction publique.

Mais aussi sur le plan stratégique : du jour au lendemain, l’attaque iranienne a permis à Jérusalem de briser l’isolement diplomatique dans lequel le pays s’est retrouvé, après six mois de guerre menée contre le Hamas. "Il s’agit d’une opportunité rare à ne pas manquer", soutient Amos Yadlin, tout en se félicitant de la mobilisation des Etats-Unis et des pays arabes modérés aux côtés de Tsahal lors de l’attaque. "Israël doit maintenant restaurer sa dissuasion, mais aussi maintenir la coopération régionale qui s’est révélée pendant cette attaque, poursuit-il. Dans un moment pareil, on ne doit pas agir avec ses tripes."

Netanyahou, auquel s’adresse ce message, fait face à un dilemme. D’un côté, le Premier ministre subit la pression de l’allié américain qui, à quelques mois de l’élection présidentielle, veut éviter à tout prix une surenchère avec l’Iran, susceptible de provoquer un embrasement régional. De l’autre, il doit composer avec l’aile dure de sa coalition, dont quelques ministres ultranationalistes (certains d’entre eux sont exclus du cabinet de guerre restreint) prônent une réponse très forte.

Consensus sur la riposte

Champion de la survie politique, le chef du Likoud, qui a battu le record de longévité au pouvoir détenu par David Ben Gourion, profitera-t-il de l’aubaine pour redorer son blason sécuritaire, écorné après le massacre du 7 octobre perpétré par le Hamas ? ""Face à la posture beaucoup plus agressive adoptée par les Iraniens, Israël ne pourra pas rester les bras croisés", estime David Khalfa, codirecteur de l’Observatoire de l’Afrique du Nord et du Moyen-Orient au sein de la Fondation Jean-Jaurès. En Israël, il existe un consensus sur la nécessité d’une riposte, comme le montre une enquête d’opinion réalisée au lendemain de l’attaque : 29 % des sondés sont favorables à des représailles immédiates et 37 % à une date ultérieure.

L’ironie de la situation tient à ce que Benyamin Netanyahou, à la tête du pays de manière quasi interrompue depuis quinze ans, a fait de la prévention de la menace nucléaire iranienne et de l’affaiblissement de l’axe chiite la pierre angulaire de sa stratégie sécuritaire. "Pour autant, il ne prendra pas de risques inconsidérés, poursuit David Khalfa. Il faut plutôt s’attendre à une riposte calibrée. Mais la question des modalités sera cruciale." Pour l’heure, les options envisagées vont d’une cyberattaque à une frappe militaire à grande échelle contre le programme nucléaire iranien.

Affaibli sur le plan intérieur, en chute libre dans les sondages, accusé, lors d’une émission en prime time par des membres de son équipe de négociateurs de bloquer toute avancée sur le dossier des otages à Gaza, le Premier ministre pourrait être tenté de jouer son va-tout. Alors que les dirigeants du monde entier appellent Israël à la retenue, Netanyahou est, en effet, celui qui a le plus à perdre.

D’un côté, ce dirigeant peut profiter de l’occasion pour faire diversion sur les difficultés de sa campagne à Gaza. Il pourrait savourer l’accolade de Washington, sur le point de lui accorder une aide budgétaire supplémentaire. Il pourrait aussi en profiter pour s’aligner sur la coalition composée des Etats-unis, de la France, du Royaume-Uni et de la Jordanie qui l’a aidé à repousser l’attaque aérienne. En ce cas, il devra suivre les recommandations de ces alliés qui prônent la retenue.

Le piège de la dissuasion

De l’autre, Netanyahou peut craindre que "le prix à payer pour rejoindre cette alliance contre Téhéran soit la fin de sa propre coalition qui compte des ultranationalistes partisans d’une riposte musclée", observe Anshel Pfeffer, l’analyste du quotidien Haaretz. En tout état de cause, "Bibi" n’a plus droit à l’erreur. "Nous avons fait les frais de l’effondrement de sa doctrine sécuritaire face au Hamas, fustige le documentariste Avi Issacharoff, coauteur de la série télé à succès Fauda. Et l’on se retrouve désormais piégé sur la question de la nature de la dissuasion à mener face à l’Iran, dont Netanyahou s’était fait le champion. Cette configuration peut dégénérer en guerre totale avec le Hezbollah, dont l’arsenal d’armes est bien plus meurtrier que celui de l’Iran."

D’autres considérations pourraient infléchir sa position. "La guerre au nord et au sud se poursuit et des dizaines de milliers de résidents ont déjà dû quitter leur foyer, pointe l’ancien diplomate et ambassadeur israélien, Freddy Eytan. A l’heure actuelle, la société civile est déchirée, la population est fatiguée et ne semble pas en mesure de subir une nouvelle longue guerre d’usure."