Après les récents coups de théâtre électoraux, 3 scénarios possibles pour les prochaines élections législatives en Italie
Le 4 mars prochain auront lieu les élections législatives en Italie: avec le renouvellement de la Chambre des députés et du Sénat, ces élections marqueront un cap important dans la vie politique du pays, en définissant une majorité politique qui pourrait être soit complètement inédite, soit représenter un retour en arrière de 25 ans, voire plus.
La législature qui s'achève a commencé fin février 2013 avec plusieurs coups de théâtre électoraux qui ont bouleversé le paysage politique italien: l'explosion des populistes du Mouvement 5 étoiles, créé par le comédien Beppe Grillo (une sorte de "Coluche italien") qui avait obtenu 25% des voix lors de son premier test électoral; la "non-victoire" de la coalition de centre-gauche, construite autour du Parti démocrate, qui avait obtenu seulement 30% entravant ainsi l'ascension au gouvernement du candidat au poste de Premier ministre, l'ancien social-démocrate Pier Luigi Bersani; le déclin partiel de Silvio Berlusconi, maître de la scène politique depuis 20 ans. Ce dernier sera, peu après les élections, interdit d'exercice de toute fonction publique suite à une condamnation dans l'un de ses (nombreux) procès, mais qui réussira tout de même à participer au gouvernement du démocrate Enrico Letta, soutenu par une coalition entre centre-gauche et centre-droit, nécessaire afin d'avoir une majorité parlementaire au Sénat (tout comme cela se passera par la suite en Allemagne et en Espagne).
Ces événements avaient ouvert la voie au jeune maire de Florence, ancien membre de la jeunesse centriste, Matteo Renzi: après la courte parenthèse du gouvernement Letta, Matteo Renzi sera à partir de février 2014 et pendant 3 ans le nouveau premier secrétaire du PD et le Premier ministre d'un gouvernement de coalition entre PD et centristes, salué après les 40% du PD aux élections européennes de 2014 comme un des nouveaux protagonistes de la mouvance "néo-blairienne" du centre-gauche européen, notamment avec Manuel Valls en France et Pedro Sanchez en Espagne.
Cinq ans plus tard, Matteo Renzi semble partager avec ses anciens compagnons de route le même destin: contraint à démissionner du poste de Premier ministre après l'échec cuisant du référendum constitutionnel de fin 2016, il est aujourd'hui secrétaire d'un Parti démocrate profondément affaibli, et crédité dans les sondages de 22% de voix: l'exploit de 2014 n'est plus qu'un lointain souvenir. Les politiques libérales-démocrates du gouvernement Renzi –en termes de loi travail, école, fiscalité–, sa communication politique, sa proximité avec certains pouvoirs, notamment les aides versées à des banques en difficulté, ont, tout compte fait, empiré la situation politique italienne. Même si les indicateurs économiques montrent une légère reprise de l'économie nationale, l'électorat populaire semble, à présent, orienté principalement vers le Mouvement 5 étoiles, aujourd'hui considéré comme le premier mouvement politique du pays avec 28% des intentions de vote.
De plus, la partie la plus modérée, voire conservatrice, du pays s'est à nouveau tournée vers la coalition de centre-droit, estimée à 35% et parrainée par l'inachevable Silvio Berlusconi, de retour avec son parti conservateur Forza Italia et ses alliés de la Ligue du Nord. Selon la presse italienne, même les conservateurs du Parti populaire européen (PPE), Angela Merkel en tête, semblent miser sur Silvio Berlusconi, aujourd'hui âgé de 81 ans, en lui pardonnant ses déboires politiques et judiciaires pourvu qu'il puisse garantir l'exclusion du Mouvement 5 étoiles du gouvernement. Cependant, ce retour en force de la droite n'assure absolument pas le pays d'être à l'abri de tentations populistes: la Ligue du Nord a, ces dernières années, abandonné le discours sécessionniste pour afficher des positions manifestement proches des autres partis d'extrême-droite européens, en particulier le FN en France. La Ligue du Nord a notamment porté une campagne anti-immigrés qui est considérée par plusieurs observateurs politiques comme moralement responsable du dramatique acte de xénophobie qui a eu lieu dans la ville de Macerata en février 2018, où suite à un meurtre commis par un migrant, un ancien candidat aux municipales de la Ligue du Nord a tiré sur un groupe d'immigrés d'origine africaine. Depuis des mois, et encore plus suite à cet évènement, le thème de l'immigration s'impose dans le débat politique: l'économie du pays transalpin ne pouvant pas absorber le grand afflux de migrants arrivés sur les côtes italiennes pendant la crise migratoire de 2015 à 2017, la droite cherche à insuffler un sentiment de méfiance des classes les plus démunies vis-à-vis des immigrés, accusés à la fois de profiter de trop d'assistance publique et d'accepter de travailler à bas coût. Même les initiatives de contrôle des flux migratoires mises en place par le gouvernement de centre-gauche n'ont pas suffi à estomper ces craintes.
La seule vraie nouveauté du panorama politique pour ces élections est le mouvement de gauche "Liberi e Uguali" (Libres et égaux), mené par Pietro Grasso, président sortant du Sénat et ancien procureur général de Palerme, protagoniste avec Giovanni Falcone de la lutte contre la mafia sicilienne durant les années 90. Ce mouvement, crédité de 7-8% mais pouvant ambitionner selon les sondages les 15% des intentions de vote, est issu de la fusion de plusieurs mouvances et partis à la gauche du PD de Matteo Renzi. Il a permis de regrouper plusieurs anciens membres de la gauche sociale-démocrate ayant entre temps quitté le Parti démocrate –notamment Pier Luigi Bersani, l'ancien secrétaire du PD et candidat malheureux du centre-gauche en 2013, et l'ancien Premier ministre Massimo D'Alema–, des anciens ministres des gouvernement Prodi, et un nombre important de militants déçus du PD, socialistes et écologistes de gauche, jeunes des mouvements associatifs. Il représente aujourd'hui un pôle d'attraction pour la gauche réformiste et plurielle, car son programme politique est une réédition de celui porté par la coalition de centre-gauche en 2013.
Au vu des sondages, trois scénarios sont possibles au soir des élections: une victoire nette de la coalition de centre-droit formée de la Ligue du Nord et Forza Italia, avec le président du PPE au Parlement européen Antonio Tajani pressenti par la presse comme Premier ministre; une victoire du Mouvement 5 étoiles, qui pourrait s'allier à la Ligue du Nord pour constituer un gouvernement populiste; et enfin ce qui est à la fois le plus probable et le plus éclatant, un gouvernement entre Forza Italia et PD, passant par une rupture à droite (fort probable, au vu des positions très divergentes vis-à-vis de l'Europe entre la Ligue du Nord et Forza Italia) et un accord entre Matteo Renzi et Silvio Berlusconi au centre.
Cet accord serait en plus le préalable à un changement majeur même au sein du PD, qui a déjà exclu de ses listes la plupart des candidats de la gauche du parti, pour donner place à ceux qui s'inspirent ouvertement des mouvances centristes et libérales-démocrates, et ferait suite aux rencontres de Matteo Renzi avec Emmanuel Macron et Albert Rivera, leader du parti centriste espagnol "Ciudadanos". L'accord de gouvernement avec Silvio Berlusconi ne serait qu'un pas de plus vers le projet de porter le PD hors de la famille socialiste européenne, afin de le transformer en un "En marche" à l'italienne. On verrait alors émerger un "grand centre" destiné, au plan national, à hériter dans le long terme du consensus des modérés ayant longtemps voté Silvio Berlusconi, dans la lignée de la tradition centriste des démocrates-chrétiens italiens, et au plan européen, à participer à une liste transnationale libérale-démocrate et pro-européenne aux élections européennes 2019 dans le cadre de l'ALDE.
L'Italie ne se dirigerait-elle pas vers cette "stable instabilité du centre" qui l'a gouvernée depuis l'après-guerre? À suivre!
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